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14 avril 2012 6 14 /04 /avril /2012 01:39

"Le génie politique d’une foule n’est que la confiance dans le commandement» Oswald Spengler, Extrait de Le déclin de l'Occident

 

La confiance est une construction fragile, évasive et paradoxale. Comme votre ombre, plus vous lui courrez après plus elle risque de vous échapper. Le contraire n’est pas non plus toujours vrai. Dans un moment de lucidité prolétaire, le camarade Lénine, aurait même avoué que « la confiance c’est bien, mais le contrôle c’est mieux ». Rajoutons que tout le monde - prolétaire ou pas - ne met pas le même contenu sous ce vocable (ni sous celui de gouvernance d’ailleurs). Entre la confiance des bons potes ou des vieux cousins, prêts à se soutenir en toute circonstance pour le bien mais surtout pour le pire dans des relations où tout le monde est client de tout le monde sans que personne n’ose réellement parler de corruption et la confiance de l’investisseur, qui découvre que ses calculs du bon risque ne suffisent pas, qu’il peut se dédier à l’essentiel parce que l’Etat le rassure et le protège des aléas et des injustices de l’histoire et des profiteurs, il y a un monde. La confiance clientéliste qui né de la faiblesse ou de la défiance envers les institutions de l’Etat est aux antipodes de la confiance réductrice de «coûts de transaction» pilier du développement car source de coopération, de coordination et de contractualisation. C’est cette dernière forme de confiance, considérée par Francis Fukuyama et par Alain Peyrefitte comme le principal moteur du développement de l’occident et du retard des autres parties du monde, que le rapport « stratégie de développement économique et social 2012-2016 » paru en septembre 2011, présente comme la première grande idée susceptible de concilier prospérité et justice sociale.

« La question de l’instauration de la confiance sera au cœur de la construction du nouveau mode de gouvernement en Tunisie » Nous disent les auteurs de ce rapport. Cette proposition programmatique résume, à elle seule, le principal défi qu’aura à affronter le prochain gouvernement de la Tunisie: Instaurer la confiance pour une nouvelle gouvernance. Le dire ainsi est chose aisée. Mais passer des paroles aux actes c’est autre chose car, faut-il le rappeler, la gouvernance de la Tunisie était basée sur tout autre chose, des choix politiques diamétralement opposés : Tout passait par la peur et la défiance qui étaient les principaux mécanismes de contrôle (plutôt que de gouvernement) d’un pays et d’une société qui ont longtemps vécu une coupure profonde, voire une déchirure entre gouvernants et gouvernés. Cette rupture s’est transformée en fracture lorsque, avec la panne de l’ascenseur social qu’à longtemps été l’université tunisienne, l’essentielle de l’élite dirigeante s’est coupée de la masse et que celle-ci n’avait plus aucun espoir de voir ses enfants accéder à des postes de « gouvernement ». Les bases historiques et politiques de la défiance et du manque de confiance prenaient alors une tournure sociologique.

En affirmant que la stabilisation des ordres politique, économique et social fragilisés par la transition suppose « non seulement une volonté politique mais également un changement de paradigme dans les pratiques des acteurs de la gouvernance », les auteurs des « dix grades idées pour la prospérité et la justice » nous semblent avoir sous-estimé la difficulté et l’ampleur de la tâche. Mais voyons, brièvement, comment ces auteurs déclinent cette révolution de la gouvernance qui passe par l’avènement d’un nouveau paradigme de la chose publique et de la citoyenneté.

Tout d’abord, le rapport nous propose une nouvelle posture pour l’autorité publique. Celle-ci devrait abandonner son réflexe hégémonique se traduisant par une approche tout aussi descendante que condescendante. Un processus de « dialogue et de négociation inclusifs » aboutissant à des « contrats » entre Etat et société et permettant de « s’accorder sur les règles de jeux d’une gouvernance démocratique où les rôles et responsabilités des différentes institutions et acteurs sont préalablement définis, et où légitimité à l’Etat recouvre son importance, tout en reconnaissant au partenaire privé, à la société civile et surtout au citoyen leurs responsabilités respectives dans la définition et la mise en place des Institutions de l’Etat ». Cette nouvelle posture de l’autorité publique

Ensuite, le rapport propose que le citoyen devienne la « source et la cible de l’action publique » et qu’il joue un « nouveau rôle dans la vie publique dans le cadre d’un dialogue approfondi et transparent entre les citoyens et les élus régionaux et nationaux ». Bref, qu’il devienne une institution à part entière au cœur des institutions de l’Etat et qu’il y ait des mécanismes d’écoute, de concertation et de participation continues.

Cette transition d’un gouvernance où le citoyen était l’objet du contrôle quasi policier des institutions à une gouvernance où le citoyen est au cœur du fonctionnement de celles-ci, suppose, selon le rapport signé par le premier ministre Béji Caed Essebsi, quatre axes d’évolutions: l’ancrage des principes de démocratie; la consécration de l’efficacité de l’administration; l’amélioration de la gestion des ressources publiques et en dernier lieu, l’institutionnalisation de l’accès à l’information.

- L’ancrage des principes de démocratie passe par une concertation active et une concertation de toutes les forces vives au processus de prise de décision publique ; une garantie des libertés d’expression, d’association, de mouvement, d’information, etc. Le rapport insiste notamment sur la révision du cadre juridique et réglementaire des associations et des lois connexes

- Consubstantielle avec sa modernisation, l’efficacité de l’administration implique, selon les vœux des experts ayant pensé et rédigé le rapport, des prestations de meilleure qualité, à un moindre coût et dans des délais réduits. Un processus de révision des procédures et des autorisations visant à simplifier les procédures et à limiter l’arbitraire dans l’application des règles étant en cours, ce processus serait couplé au développement de l’administration publique et de la déontologie dans le service public. Tout cela nécessiterait l’implication des citoyens usagers sur la base « d’objectifs stratégiques et de critères clairs ». Enfin, la modernisation de la fonction publique et la gestion des ressources humaines de l’administration en mettant en place un système de promotion au mérite et d’évaluation des performances des fonctionnaires.

- L’amélioration de la gestion des ressources publiques passera par la généralisation du système de programmation budgétaire pluriannuelle axée sur les résultats, la flexibilisation des contrôles et leur orientation vers l’audit des performances. Une révision de la réglementation des marchés publics afin de l’adapter aux normes internationales et améliorer son efficacité et sa transparence.

- L’institutionnalisation de l’accès à l’information et la promotion de la liberté d’information passera par la « diffusion au public de toutes les données d’ordre statistiques, économiques, sociales, administratives et financiers » ; l’institutionnalisation de l’accès aux documents administratifs des organismes publics (un décret-loi a été promulgué dans ce sens) et l’élaboration d’une loi sur la liberté d’information et les structures institutionnelles y afférentes.

Même si ont peut regretter que la question de la corruption et du dispositif institutionnel qui permettrait de contrer ce fléau n’ait pas été évoquée en tant que mécanisme de construction de la confiance et que les propositions présentées dans cette « grande idée » ne comportent pas de réelles grandes innovations institutionnelles susceptibles de provoquer un choc salutaire et une rapide remise en cause des anciennes pratiques et représentations, il nous semble qu’à eux seuls, ces axes mériteraient de larges développements, des approfondissements et, surtout, des discussions et des rectifications susceptibles d’augmenter la probabilité de leur appropriation. Par ailleurs, il faudrait se départir de la politique des vœux pieux et des belles intentions plus ou moins mobilisatrices et qui, de toute façon, seraient insuffisantes. C’est le sociologue français Michel Crozier qui rappelait qu’on ne change pas une société par décret. On la change encore moins d’en haut, avec des rapports d’expertise et des projections qui peuvent n’être que l’expression fantasmagorique d’une société et d’une gouvernance idéales, rêvées, espérées à partir d’un subconscient que certains diraient encore colonisé par une partie de l’occident. On ne change pas de gouvernance du jour au lendemain car on ne change pas de société ni de rapports de pouvoir par les vœux - simples ou sophistiqués - d’un décideur. La révolution a remis certaines pendules à l’heure et pourrait être une opportunité pour une évolution profonde de ces éléments. Les résistances au changement ne se trouvent pas toujours là où on les attend. Les « restes » de l’ancien régime qui tirent la gouvernance du pays vers des pratiques relevant d’un autoritarisme qui ne dirait toujours pas son nom mais qui, pour une fois, prendrait des allures beaucoup plus lisses car électives et transcendantes, sont là, du côté des gouvernants, mais également des gouvernés.

article de Karim Ben Kahla, publié dans le N°4 de courrier de Tunisie, Novembre 2011

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